AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE (archéologie et art) - L’Amérique du Sud précéramique

AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE (archéologie et art) - L’Amérique du Sud précéramique
AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE (archéologie et art) - L’Amérique du Sud précéramique

DES ORIGINES AUX PREMIERS VILLAGES

Si l’on conserve au mot «préhistoire» son sens le plus courant: «histoire de l’humanité depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’apparition des premiers témoignages écrits» (M. Brézillon, 1969), la préhistoire sud-américaine ne prend fin qu’au début du XVIe siècle avec l’irruption des conquistadores; en effet, aucun témoignage indubitable d’un système d’écriture quelconque n’a jusqu’ici été retrouvé en Amérique du Sud, et notre connaissance des civilisations précolombiennes se fonde essentiellement sur l’interprétation des vestiges matériels. Pourtant nous ne traitons ici que la période la plus ancienne de cette longue préhistoire: celle qui précède l’apparition des premières poteries. Césure commode, certes, et acceptée par de nombreux archéologues américanistes – qui distinguent ainsi un «Précéramique» des époques postérieures –, mais contestable dans la mesure où l’apparition de la céramique ne représente en aucun cas un repère chronologique absolu: «apparue» au cours du IVe millénaire en un point du continent, on ne la retrouvera ailleurs que mille ou deux mille ans plus tard. Certaines sociétés ne devaient même en découvrir l’usage qu’avec l’arrivée des envahisseurs européens. En outre, l’apparition de la céramique est intervenue dans des contextes sociaux et économiques très divers: ici, des groupes de prédateurs encore semi-nomades; là, des sociétés déjà sédentarisées mais ne pratiquant pas l’agriculture; là encore, des horticulteurs non totalement sédentarisés. Enfin, l’apparition de la céramique, si elle constitua à l’évidence une innovation technique, ne fut pourtant qu’un phénomène mineur qui ne modifia guère le mode de vie des sociétés qui l’inventèrent ou l’adoptèrent.

La préhistoire du continent sud-américain constitue par ailleurs un champ d’étude très différent de celui qui est offert par l’Ancien Monde. Il s’agit, en effet, d’une expérience qui eut lieu en vase clos, au contraire de ce qui s’est passé en Europe et en Asie, où actions et réactions des groupes préhistoriques aux mêmes époques ont été multiples et souvent difficiles à démêler. En Amérique, les premiers occupants ont vu s’ouvrir devant eux un continent vide, aux paysages et à la faune non encore modifiés par l’homme, non soumis à des influences culturelles extérieures. Cet univers intact présentait des milieux naturels fortement tranchés auxquels l’homme dut s’adapter relativement vite mais sans avoir à subir, du moins au début, la concurrence d’autres groupes. En outre, le peuplement de l’Amérique est un phénomène très récent, comparé à celui de l’Ancien Monde. S’il semble désormais difficile de refuser à l’homme américain une ancienneté d’au moins 30 000 ans, nous sommes loin des 3 millions d’années de l’Homo habilis est-africain, et les premiers hommes américains étaient déjà des Homo sapiens sapiens (voir Géographie, l’occupation humaine , in AMÉRIQUE - Structure et milieu). Troisième différence enfin avec l’Ancien Monde, la science préhistorique est en Amérique, et plus encore en Amérique du Sud, une science très jeune. Certes, des trouvailles d’«homme fossile» et d’espèces animales disparues avaient eu lieu dès le milieu du XIXe siècle (travaux de Lund au Brésil), au moment même où, en France, Boucher de Perthes publiait ses Antiquités celtiques et antédiluviennes . Les découvertes de Lund venaient trop tôt, les esprits n’étaient pas encore mûrs pour admettre l’idée d’un homme préhistorique américain alors que la notion commençait à peine à être acceptée en Europe. Quant aux travaux de l’Argentin F. Ameghino, qui prétendit, vers 1870, avoir découvert dans la pampa un «homme tertiaire», ils achevèrent pour plusieurs années de jeter le discrédit sur l’antiquité de l’homme dans le Nouveau Monde. L’anthropologue A. Hrdlicka (1869-1943) et ses disciples refusèrent toujours (et certains continuent à le faire) d’attribuer à l’homme américain une antiquité supérieure à une dizaine de milliers d’années. Il fallut attendre la découverte du site de Folsom, au Nouveau-Mexique en 1926, pour que soit enfin acceptée la contemporanéité de l’homme et d’espèces animales fossiles. C’est seulement depuis quelques décennies que la multiplication des découvertes et le progrès des techniques scientifiques ont permis la naissance de la préhistoire américaine.

En Amérique du Sud, des recherches intensives effectuées depuis 1978 ont mis en évidence la présence de l’homme dans le nord-est du Brésil depuis 30 000 ans au moins. Si, au début, le complet «isolement» de ces découvertes et, surtout, l’insuffisance des données publiées avaient conduit une bonne partie des spécialistes à écarter l’hypothèse d’un très ancien peuplement sud-américain, il semble aujourd’hui difficile de rejeter l’évidence. Les sites très anciens restent cependant très rares, les restes humains inconnus et l’éparpillement des découvertes dans des zones immenses rend impossible non seulement la distinction d’aires culturelles différentes, mais toute connaissance précise des modalités de cette première occupation humaine.

Les premiers occupants de l’Amérique du Sud sont très probablement arrivés du nord, par l’Amérique centrale, c’est-à-dire par l’isthme de Panamá, qui fut, semble-t-il, toujours émergé et praticable. Il est même possible que durant les périodes glaciaires il ait été plus large qu’actuellement et couvert d’une végétation de savane arbustive plus aisément pénétrable que l’actuelle forêt tropicale. Le problème majeur est en fait non pas celui des sites – qui ont existé ou existent encore –, mais celui de leur conservation et de leur recherche. On ne doit pas oublier que la densité des découvertes archéologiques dans une région du monde ne fait généralement que refléter la densité des recherches qui y sont effectuées, ni confondre «carte de peuplement préhistorique» et «carte des gisements découverts». Dans les régions tempérées de l’Amérique du Sud, les recherches ne sont pas plus difficiles à mener qu’en Europe, mais il n’en va pas de même dans les zones tropicales et équatoriales ou dans les archipels inhospitaliers de la Patagonie. Là, l’extrême humidité, l’épaisseur de la couverture végétale ont pu faire disparaître toute trace d’occupation ancienne, en même temps qu’elles découragent la prospection archéologique; ici, le froid, la pluie, l’englacement du terrain pendant tout ou partie de l’année empêchent le repérage des sites. Et ce n’est pas par hasard que les découvertes ont eu lieu en général dans des régions de prime abord favorables: tout d’abord la région andine, c’est-à-dire les plateaux, les chaînons montagneux et leurs piémonts, les bassins interandins, qui, du 2e au 20e degré de latitude sud approximativement, forment l’épine dorsale du continent; de l’autre côté, les régions relativement sèches du rebord atlantique, d’altitude faible ou modérée. Plusieurs spécialistes pensent d’ailleurs que ces régions furent celles-là mêmes que choisirent les premiers groupes humains arrivés en Amérique du Sud à partir de Panamá, car elles constituaient déjà à cette époque les voies de cheminement les plus faciles, autant que les lieux d’installation les plus propices.

Les premières occupations (de 35 000/30 000 à 12 000 B. P.)

Les plus anciens indices de présence humaine proviennent donc du Brésil, où les niveaux inférieurs (datés d’entre 40 000 et 15 000 B. P.) de la Toca do Boqueirão da Pedra Furada (Piaui) ont livré une industrie lithique de galets aménagés et d’éclats grossièrement retouchés, retrouvés autour de foyers. Ces dates, qui en font pour l’instant le gisement le plus ancien d’Amérique, sont cependant loin d’être acceptées par tous les spécialistes.

Les sites ou les niveaux datés entre 15 000 et 12 000 B. P. sont en revanche plus nombreux et, bien que toujours rejetés par les plus radicaux des «conservateurs», acceptés par de nombreux archéologues. Au Venezuela, à Taima-Taima (Falcón) où les premières fouilles avaient donné des résultats confus, des restes de faune pléistocène (mastodonte, cheval, édenté géant), associés à des objets de pierre grossièrement travaillés mais aussi à un fragment de pointe de jet bifaciale, ont été datés de 14 000 B. P. environ. Au Brésil, l’occupation des abris du Piaui se poursuit et des occupations d’ancienneté comparable ont été détectées à Sitio do Meio , toujours caractérisées par une industrie sans pièces bifaciales. Au Pérou, dans la grotte de Pikimachay (Ayacucho), à une première phase «Paccaicasa» plus que douteuse succède une occupation «Ayacucho» mieux attestée (14 000/13 000 B. P.) où sont associés des restes de faune pléistocène (cheval, camélidé, édenté géant) et des outils lithiques encore frustes, chopping-tools grossiers et éclats peu ou pas retouchés mais dont l’origine anthropique est cette fois indéniable. Au Chili, enfin, trois stations de plein air, Quereo-Los Vilos (Coquimbo), Tagua-Tagua (O’Higgins) et Monte Verde (Llanquihué), datées des environs de 12 000 B. P., ont livré en abondance de la faune fossile (cheval, mastodonte, édentés géants) et, sur les deux premiers sites, une industrie de grands éclats, toujours sans pièces bifaciales. Quant à Monte Verde , il constitue l’exemple, pour le moment unique en Amérique, d’un habitat où ont été exceptionnellement préservés, par une tourbière, les restes d’une douzaine d’habitations à l’armature de troncs minces recouverte de peaux de mastodonte, plusieurs foyers aménagés, des mortiers et de nombreux instruments de bois et, plus rares, quelques outils lithiques rudimentaires (galets utilisés, chopping-tools grossiers, sphéroïdes). Plus spectaculaires encore, les restes de sept ou huit mastodontes, dispersés aux alentours du campement, portaient des traces de fracture et de décarnisation. Ces découvertes pour le moment uniques enrichissent de manière singulière l’image quelque peu simpliste que l’on se fait généralement de la vie des chasseurs «primitifs» d’Amérique du Sud.

Si l’on en croit ce que suggèrent l’observation des quelques structures conservées – traces d’habitations, foyers, accumulations de restes fauniques – et celle des outillages recueillis, cette première période, qui pourrait couvrir une trentaine de millénaires, serait donc caractérisée par l’absence, dans l’industrie, des pointes travaillées bifacialement qui deviendront si fréquentes ensuite. D’où le nom de «Pré-projectile» donné à cette phase par son inventeur A. Krieger (1964), à une époque où elle ne pouvait être définie qu’à partir de trouvailles de surface, effectuées essentiellement dans les pampas d’Argentine, et de quelques gisements très douteux (Garzón en Colombie, Muaco , Manzanillo et Camare au Venezuela, niveau inférieur d’Alicia Boër au Brésil), références d’ailleurs abandonnées depuis. Cela explique cependant le scepticisme durable des archéologues, dont certains continuent de refuser toute authenticité aux gisements récemment découverts et fouillés – comme dans le cas des trois stations chiliennes – avec une rigueur excluant toute critique.

Reste que tous les gisements, à l’exception de Taima-Taima où fut découvert un fragment de pointe bifaciale, contenaient un outillage d’aspect très fruste, constitué d’objets de grande taille parmi lesquels dominent les choppers, les chopping-tools et des éclats peu ou pas retouchés. Cet équipement, qui pourrait avoir été complété par un outillage de bois et d’os, correspondrait à un mode de vie nomade ou semi-nomade fondé sur une chasse non spécialisée ou plutôt une traque au gros gibier pléistocène, édentés géants, cheval, mastodonte, grands cervidés fossiles, toutes espèces qui disparaissent vers la fin de la période pour laisser place, dans les gisements, à des espèces actuelles de plus petite taille. Quant à l’extrême rareté des sites au regard de l’immensité du sous-continent, elle s’expliquerait à la fois par la faiblesse numérique des populations et par les bouleversements géologiques et les contaminations de toutes sortes auxquels furent soumis les vestiges de leur passage.

En résumé, il semble que la présence très ancienne – dès le Pléistocène – de l’homme en Amérique du Sud ne puisse plus guère être mise en doute. Pourtant, quelques remarques s’imposent. Au niveau théorique tout d’abord, les reconstitutions proposées supposent que l’Amérique aurait connu un premier stade de développement culturel, et surtout technique, durant lequel l’homme ne savait pas encore fabriquer des objets bifacialement travaillés mais seulement des outils grossiers obtenus par percussion. Schéma évolutionniste qui est loin d’être accepté par tous, surtout dans la mesure où, à l’époque censée être celle de la première arrivée de l’homme en Amérique, les panoplies techniques de l’Ancien Monde comportent déjà depuis fort longtemps des outils bifaciaux fort bien élaborés, même si la pointe de jet bifacialement façonnée n’existe pas encore. Cette apparente «régression technique» des premiers Américains reste donc à expliquer. Par ailleurs, un apparent archaïsme technique n’a jamais constitué une preuve d’antiquité, des outils «grossiers» en pierre taillée furent utilisés par les sociétés précolombiennes les plus évoluées jusqu’à l’arrivée des Européens au XVIe siècle et, de nos jours, certains groupes «primitifs» (les Indiens Xeta du Brésil, les aborigènes du désert australien) les utilisent encore, n’ayant pas dépassé un niveau technique équivalent à celui du Paléolithique européen. La réticence des «conservateurs» peut donc, sans pour autant être partagée, s’expliquer, les premiers gisements attribués à cette période n’offrant que très rarement des possibilités de datation absolue. Nombre d’entre eux se sont révélés depuis n’être que des ateliers d’où l’on extrayait les blocs de matière première, qui subissaient ensuite sur place une première mise en forme (d’où l’aspect fruste des produits). Un exemple parmi d’autres est le fameux site péruvien de Chivateros (Lima), où le flanc d’une colline désertique, couvert de milliers de gros bifaces et d’éclats extraits des affleurements rocheux en place, fut interprété par ses découvreurs comme un site probablement antérieur à 14 000 B. P. Des analyses ont montré qu’il s’agissait en réalité d’une carrière d’extraction de blocs, ensuite utilisés, mais en d’autres lieux, pour façonner des pointes bifaciales de type «Paiján» attribuées, cette fois à juste titre, à une époque plus récente.

L’époque des chasseurs spécialisés (de 12 000 à 8000 B. P. environ)

La situation devient un peu plus nette à partir d’environ 12 000 B. P., moment qui correspond à la fin de la dernière avancée glaciaire et au début du retrait définitif des grands glaciers quaternaires.

Cette seconde période a reçu diverses appellations: Lithique supérieur (Willey et Phillips), stade paléo-indien (Krieger) ou stade des «chasseurs supérieurs» (Schobinger, 1988), ou encore période «à pointes de projectile» pour ceux qui préfèrent mettre l’accent sur la typologie lithique. Elle est en effet caractérisée par l’apparition, un peu partout et d’une façon relativement soudaine, de pointes de pierre taillée finement travaillées sur deux faces, retouchées par pression, et considérées généralement comme des armatures de trait destinées à la chasse (lances tenues à la main, ou flèches lancées à l’aide d’un propulseur, puisque l’arc semble encore inconnu). Ce stade apparaît en Amérique du Nord avec une légère antériorité, vers 12 000 B. P., les fossiles directeurs étant les «pointes à cannelure» de Clovis et Folsom, qui portent sur chaque face une cannelure concave verticale, sans doute destinée à faciliter l’emmanchement.

En Amérique du Sud, où ce stade correspond, comme en Amérique du Nord, à la disparition progressive de la mégafaune pléistocène, peu à peu remplacée par des espèces actuelles, les mêmes acquis techniques – façonnage bifacial, retouche par pression, spécialisation des outillages – se généralisent, quoique un peu plus tardifs. On retrouve de place en place (Équateur, Pérou, Brésil, Uruguay et jusque dans l’extrême sud de la Patagonie) les pointes à cannelure proximale qui adoptent ici une forme particulière dite «en queue de poisson». Un fait est en tout cas certain: l’ensemble du continent est maintenant occupé par l’homme, même si de vastes régions – l’Amazonie et le piémont forestier des Andes, les basses terres tropicales de l’ouest colombien et équatorien – n’ont encore livré aucun vestige d’occupation remontant à cette époque. Mais l’homme est présent en Patagonie (Los Toldos, El Ceibo [?] et Fell ) et en Terre de Feu (Tres Arroyos ) dès 11 000 B. P.

Qu’ils contiennent des pointes à cannelure ou, plus souvent, des pointes bifaciales de forme foliacée (type «Ayampitin», le plus fréquent), pédonculée (type «Paiján» peut-être directement dérivé des pointes «en queue de poisson»), ou même qu’ils continuent à être dépourvus de pointes, les sites datés ou attribuables à la période 12 000/8000 B. P. sont en tout cas beaucoup plus nombreux que ceux de la période antérieure; ce qui reflète sans doute une plus grande densité du peuplement et explique que l’on puisse esquisser maintenant les contours d’aires géographiques où les développements culturels ont dès lors suivi des trajectoires originales. Quant aux différences constatées parmi les types de pointes de jet, si certains spécialistes les interprètent comme le reflet de migrations délimitées dans le temps et dans l’espace, la plupart estiment qu’elles représentent seulement diverses modalités d’adaptation des techniques et des formes aux différents écosystèmes. Seule l’existence des pointes «en queue de poisson» témoigne très probablement sinon d’une migration, du moins d’une influence directement issue de la tradition «Llano» d’Amérique du Nord.

Nous citerons les gisements les plus importants de cette période, présentant une stratigraphie claire et datés par le carbone 14 (seule la date présumée de la première occupation sera indiquée):

– au Brésil, les sites du Piaui déjà occupés aux périodes précédentes; les abris de Santana do Riacho et Boquete (11 000/ 10 000 B. P.) dans la région de Lagoa Santa (Minas Gerais), fameuse également par son art rupestre et les restes humains fossiles mis au jour dès le XIXe siècle;

– en Colombie: les abris de la Sábana de Bogotá, El Abra (12 400 B. P.) et Tequendama (10 920 B. P.), dont la particularité est d’avoir livré une industrie composée exclusivement d’éclats, sans pointes bifaciales;

– en Équateur: dans les hautes terres, l’atelier de taille sur obsidienne de El Inga (9000/8000 B. P.?) où sont présentes les pointes à cannelure, la grotte de Chobshi (8615 B. P.) et le campement ouvert de Cubilán (entre 10 300 et 9100 B. P.); sur la côte, le campement de Las Vegas (environ 10 000 B. P.);

– au Pérou: la grotte de Guitarrero dans la vallée du Santa (peut-être à partir de 12 000 mais plus sûrement vers 9000 B. P.); la grotte de Lauricocha 2 (9525 B. P.), les abris de Ushkumachay , Pachamachay et Telarmachay (environ 9000 B. P.), sur les hauts plateaux du centre; la grotte de Jaywamachay dans le bassin d’Ayacucho (niveaux «Puente» et «Jaywa», entre 11 000 et 8500 B. P.); dans les hautes terres du Sud, la grotte de Toquepala (9580 B. P.); enfin, sur la côte nord, les campements de plein air et les ateliers de Paiján (entre 10 700 et 8000 B. P. environ), qui ont livré les pointes du même nom;

– au Chili: les stations de plein air de Tiliviche et Aragón , sur le piémont occidental des Andes (peut-être dès 9000 B. P.) et, dans les hautes terres, les abris de Tuina (10 820 B. P.), San Lorenzo (10 400 B. P.) et Tojo-Tojone (9600 B. P.); en Patagonie, les grottes Fell (11 000/10 500 B. P.) et Cueva del Medio (10 550 B. P.) – toutes deux contenant des pointes à cannelure «en queue de poisson» – et, en Terre de Feu, les abris de Tres Arroyos et de Marazzi (9590 B. P.);

– en Argentine: les grottes d’Inca-Cueva 4 (9230 B. P.) et Huachichocana (8930 B. P.) dans les hautes terres du nord-ouest et celle d’Intihuasi dans le piémont oriental (8068 B. P.); dans la pampa , la grotte de Cerro La China (10 790 B. P.) et la station de plein air d’Arroyo seco (8390 B. P.); en Patagonie occidentale, la grotte de Los Toldos (11 000 B. P.).

Enfin, quelques gisements à pointes bifaciales connus depuis longtemps – El Jobo au Venezuela, Viscachani en Bolivie, Ayampitin en Argentine – ne sont attribués à cette période que sur la base hypothétique de comparaisons typologiques. De manière paradoxale, c’est pourtant leur nom qui reste attaché à deux des principaux types de pointes foliacées sud-américaines, «El Jobo» et «Ayampitin».

C’est à partir de cette période qu’il devient enfin possible de quitter le terrain aride de la typologie lithique pour tenter de retrouver – au travers des outils mais bien au-delà d’eux – l’homme lui-même, sa façon de vivre, d’occuper le milieu naturel et de l’utiliser à son profit. La notion de «faciès industriel» fait enfin place à celle combien plus humaine de «culture», dont l’équipement technique ne constitue que le squelette. Dans tous les endroits cités, les hommes vivent alors essentiellement de la chasse. Leur gibier de prédilection est désormais constitué essentiellement par des espèces actuelles – camélidés dans les hautes terres andines, cervidés, rongeurs et oiseaux aux altitudes moyennes et basses – même si, de place en place, quelques espèces pléistocènes sont encore présentes et exploitées (cheval américain à Jaywamachay , Los Toldos et Fell , cheval et édenté géant à Arroyo Seco , édenté à Cerro La China ). La disparition de cette mégafaune pléistocène, conséquence de divers facteurs – modifications de l’environnement, compétition avec des espèces plus récentes, prédation opérée par l’homme – sera totale vers 8000 B. P.

Dans le domaine de l’équipement technique, les panoplies d’outillage ne comportent évidemment pas que des pointes (toujours privilégiées par les archéologues qui voient en elles – à tort parfois? – d’excellents indicateurs chronologiques et stylistiques), mais aussi des couteaux et des racloirs, des grattoirs de diverses formes, pour découper les quartiers de gibier, racler et corroyer les peaux, découper l’os, fendre le bois ou les écorces. Des instruments de bois et d’os sont aussi utilisés. Les chasseurs, parfaitement adaptés à leur milieu, savent diversifier leur subsistance: outre la chasse aux grands herbivores, ils capturent ou piègent les petits mammifères et les oiseaux, ramassent les graines et tubercules sauvages ainsi que les mollusques terrestres. De même, ils mettent à profit la diversité des environnements pour alterner leurs techniques en fonction des rythmes saisonniers: dans les Andes, ils occupent en alternance plusieurs habitats d’un palier écologique identique mais correspondant à des modes différents d’exploitation du milieu, et descendent peut-être dans la plaine côtière durant l’hiver austral afin d’exploiter les ressources des «oasis de brume», ou lomas (gibier, mollusques terrestres et plantes sauvages). Pour habitations, les chasseurs choisissent, lorsqu’il s’en trouve, des abris naturels creusés dans les reliefs calcaires ou volcaniques, qu’ils complètent et agrandissent parfois par des structures construites (parois de pierres, de peaux ou de branchages). Ce sont évidemment les habitats aujourd’hui les plus faciles à détecter. Mais, dans la majorité des cas, les hommes ont dû édifier des constructions plus précaires de peaux ou de branchages, dont rien ne nous est parvenu hormis, dans quelques cas privilégiés, la trace sur le sol.

Le long des rivages sont installés, à la même époque, des groupes vivant essentiellement des ressources de l’océan. Les sites retrouvés demeurent toutefois très rares car la lente remontée des eaux, consécutive au réchauffement postglaciaire, a submergé, à partir de 7000 B. P. environ, la plupart des installations côtières. Seules subsistent, dans le nord du Pérou , les campements et les ateliers de taille de Paiján , situés à quelque distance du rivage, et les traces plus ténues d’installations temporaires à Amotape et Siches (Piura), datées d’entre 11 000 et 8000 B. P. environ. Sur la façade atlantique, il est possible que les plus anciens des sambaquis , énormes amas coquilliers qui jalonnent le littoral entre le 20e et le 30e degré de latitude sud, aient été édifiés dès cette époque, dans la mesure où certains d’entre eux sont aujourd’hui partiellement submergés. Cependant, les quelques datations autour de 8000 B. P. (sambaquis de Maratúa et Camboihnas ) restent très discutées.

Innovation d’importance, quelques expériences précoces d’une domestication d’espèces végétales semblent déjà tentées dans l’aire andine: dans la grotte de Guitarrero au Pérou ont été trouvés, dans le «complexe II» (entre 9000 et 7500 B. P.), des spécimens cultivés de haricots et de courges. Si ces datations sont exactes (mais certains en doutent), ce seraient là les plus anciens témoignages d’horticulture connus en Amérique.

C’est enfin à la période 12 000/8000 B. P. qu’appartiennent les premiers témoignages connus d’activités humaines non strictement utilitaires: l’exécution d’œuvres d’art rupestres et la pratique de rites funéraires. De nombreux exemples d’art pariétal ont été trouvés en Patagonie et au Brésil, où les parois rocheuses portent des frises peintes parfois sur des dizaines de mètres de longueur. En Patagonie, un des motifs les plus fréquents est une représentation de main en négatif, cernée de peinture rouge et plus rarement noire (Cueva de las Manos ) et qui n’est pas sans rappeler – sans qu’il faille voir là autre chose qu’une simple comparaison stylistique – les figurations semblables de l’art franco-cantabrique. Dans plusieurs grottes des Andes centrales, Lauricocha et Toquepala entre autres, sont peintes en rouge foncé de grandes frises animalières et des scènes où figurent chasseurs et gibier. Quant aux fresques brésiliennes, si la plupart de celles de la région de Lagoa Santa ne doivent pas avoir plus de 4000 ou 5000 ans, il semble que celles du Piaui, à la thématique très riche, soient considérablement plus anciennes et remontent peut-être à plus de 10 000, voire à 15 000 ans.

En ce qui concerne les rites funéraires, on connaît plusieurs exemples de sépultures en grotte ou abri dans les Andes péruviennes (Lauricocha , Telarmachay ) et au Brésil central (Santana do Riacho ), datées d’entre 9500 et 7500 B. P. Les corps sont généralement couchés en position fléchie, déposés dans une fosse ou, au Brésil, enveloppés dans un hamac. Ils sont souvent accompagnés d’ornements d’os ou de coquille et, particulièrement dans le cas des sépultures d’enfants, saupoudrés d’ocre rouge ou de fragments d’oxyde de fer. On ne connaît qu’une seule sépulture d’âge équivalent sur la côte pacifique, où «l’homme de Paiján» (10 200 B. P.) – en réalité une femme d’une vingtaine d’années – est à l’heure actuelle le plus ancien fossile humain découvert en Amérique du Sud. Quant au type humain de l’époque, il s’apparente presque toujours à celui qui a été défini dès la fin du XIXe siècle comme «race de Lagoa Santa» et caractérisé par un crâne dolichocéphale, une face légèrement proéminente aux pommettes saillantes et une stature robuste. Ce type diffère profondément des types plus mongoloïdes que présentaient les Amérindiens au moment de leur «découverte» par les Européens à la fin du XVe siècle. Les traits mongoloïdes apparaissent en effet plus tard, comme s’ils résultaient soit d’apports plus récents – conséquences de nouvelles migrations venues d’Asie –, soit de l’évolution sur place des premiers arrivés, ce qui démontrerait alors un étonnant parallélisme entre l’évolution humaine en Amérique et dans le nord-est de l’Asie.

L’essor des Andes centrales (de 8000 à 4000 B.P. environ)

Des innovations essentielles, qui vont par la suite apporter des changements radicaux dans le mode de vie, apparaissent à partir de 8000 B. P. dans quelques endroits privilégiés, en particulier dans les Andes centrales. Cette région constitue en effet une de ces «zones nucléaires» où, sous l’effet conjugué de conditions climatiques et de potentialités économiques favorables, se produit plus précocement qu’ailleurs l’éclosion de la «néolithisation», c’est-à-dire l’apparition de nouvelles relations entre l’homme et le milieu dont il dépend. De prédateur (chasseur, cueilleur), il devient progressivement le producteur de sa nourriture, grâce à la domestication d’espèces animales et végétales.

Après quelques expériences précoces et, semble-t-il, restées isolées (haricots et courges cultivés à Guitarrero ), les indices d’horticulture se multiplient dans les hautes terres du Pérou situées au-dessus de 3 000 mètres et des courges cultivées sont présentes à Ayacucho vers 7500 B. P. Le maïs, sur la culture duquel se fonderont les «hautes civilisations» apparues au cours du IIe millénaire, semble cultivé à Guitarrero vers 5500 B. P. et à Ayacucho vers 4500 B. P. Dans les régions littorales, le maïs cultivé ne fait cependant son apparition qu’entre 4500 et 4000 B. P.

À partir des données dont nous disposons actuellement, il semble en effet que les premiers essais d’agriculture aient eu lieu plus tôt dans les hautes terres que dans les régions littorales, et les centres de domestication furent sans doute multiples, certains cultigènes étant communs aux Andes et à la Mésoamérique. Il est encore impossible de tracer la carte des centres de dispersion et des foyers originaux de domestication de ces différentes plantes. Pourtant, D. Lathrap a formulé une hypothèse intéressante: soulignant que la plupart des espèces domestiquées en Amérique du Sud sont originaires d’un milieu tropical humide, il propose une origine amazonienne de l’agriculture, «née» à l’est des Andes au début de l’Holocène, «exportée» ensuite vers la Cordillère puis vers le littoral. Hypothèse loin d’être acceptée par tous cependant. Quant aux plantes d’altitude comme la quinoa et surtout la pomme de terre, plante andine par excellence, la culture en fut sans doute pratiquée très tôt mais, curieusement, aucun témoignage archéologique n’en a encore été découvert dans la Cordillère.

Les débuts de l’agriculture dans la région andine coïncident plus ou moins avec la domestication de quelques espèces animales très rares au regard des espèces domestiquées, à peu près à la même époque, dans l’Ancien Monde. Sur les hauts plateaux au-dessus de 4 000 mètres, les troupeaux sauvages de camélidés (ancêtres des lamas et alpacas actuels), jusqu’alors intensément exploités par des groupes de chasseurs peu à peu spécialisés, favorisent par leur comportement relativement sédentaire les premiers essais de contrôle puis de domestication. La séquence de cette domestication et des modifications qu’elle a entraînées dans le comportement des groupes humains a été mise en évidence à Telarmachay , sur le haut plateau du Pérou central, où elle débute aux environs de 6000 B. P. Quant au chien, on le retrouve dans divers contextes archéologiques de la même époque. Cet animal domestique apparaît d’ailleurs si tôt en Amérique que certains spécialistes se demandent s’il ne fut pas apporté d’Asie déjà domestiqué.

Ces premières expériences de production alimentaire s’effectuent dans un contexte semblable à celui de la période précédente: les mêmes habitats – refuges naturels ou campements de plein air – continuent d’être utilisés; on ne connaît encore aucune structure architecturale, et il est bien certain que les nouvelles ressources ne constituèrent, au début, qu’un complément limité à un régime alimentaire encore fondé sur la chasse et la collecte.

Sur la côte désertique du Pacifique, que jalonnent les oasis créées par les torrents descendant des Andes et que baignent les eaux extrêmement riches en faune de l’océan (dont l’abondance est due au courant froid de Humboldt), sont alors établis des groupes vivant de l’exploitation des richesses marines, complétée par l’horticulture.

Il est intéressant de noter en effet que la sédentarisation, que l’on considère généralement comme le corollaire de l’agriculture, n’apparaît pas, au Pérou, toujours liée à celle-ci. Sur certains points de la côte où règnent des conditions propices (présence simultanée de ressources variées et accessibles toute l’année), elle semble la précéder: à Paloma (vallée de Chilca), il existe dès 7000 B. P. des habitations semi-souterraines, indice très probable d’un établissement permanent dont les occupants alternent la pêche, la récolte des mollusques, la chasse aux mammifères marins et la cueillette des plantes sauvages, complétées par un peu d’horticulture (haricots, courges et piments). Ainsi, ce n’est pas tant l’agriculture qui semble avoir déterminé l’apparition des premiers villages permanents que l’existence conjointe de différentes catégories de ressources. Là où elles ne sont pas accessibles sans déplacements, la culture de quelques espèces ne suffit pas encore à entraîner la fixation de la population.

C’est sur le littoral toutefois que les ressources de plus en plus importantes fournies par l’agriculture, qui s’enrichit d’espèces nouvelles, vont peu à peu éliminer les anciens modes de subsistance, en même temps qu’elles favorisent un accroissement démographique notable. Les villages permanents se multiplient de la frontière équatorienne au nord du Chili, le long d’une étroite bande côtière où l’extrême sécheresse a en outre permis une exceptionnelle conservation des vestiges. Chilca (entre 5700 et 4500 B. P.) est déjà un véritable village aux petites huttes coniques de branches recouvertes de roseaux et renforcées intérieurement par des côtes de baleine. À Río Grande , on trouve côte à côte des huttes de paille et de petites constructions de pierre rectangulaires. À Cabezas Largas (5000 B. P. environ), la forme des habitations n’a pu être retrouvée, mais l’élément le plus notable est le cimetière où l’on découvrit une dizaine de sépultures individuelles; les corps étendus étaient enveloppés dans une peau de vigogne et plusieurs nattes de joncs tressés. Les habitants de ces villages pêchent, chassent les phoques, ramassent les coquillages, tandis que la culture des courges et des calebasses, du haricot et du piment leur fournit un appoint appréciable. Leur équipement technique comprend des hameçons d’épine de cactus, d’os ou de coquille, des bâtons et des propulseurs de bois qui devaient servir à lancer des traits armés de pointes de pierre taillée, des outils divers de pierre et d’os, mais aussi des instruments de mouture pour broyer les matières végétales, et diverses sortes de récipients faits de calebasses et de vannerie. Les vêtements sont de peaux ou de fibres, car le coton est encore inconnu. Le véritable tissage est absent, et tous les vêtements et vanneries sont fabriqués selon une technique d’entrelacement qui permet cependant une grande variété de motifs.

Les premières sociétés hiérarchisées

Vers 4500/4000 B. P., le progrès des techniques et l’introduction de nouvelles espèces cultivées favorisent l’accroissement, en nombre et en importance, de ces établissements permanents d’agriculteurs-pêcheurs. Huaca Prieta en est l’exemple le plus connu (c’est là en effet que pour la première fois fut mise en évidence, en 1946, l’existence d’habitats sédentaires antérieurs à l’apparition de la poterie). Le village abrite probablement plusieurs centaines d’individus, qui vivent dans de petites maisons semi-souterraines comportant une ou deux pièces, construites de gros galets et couvertes d’un toit de bois ou d’os de baleine. La pêche, pratiquée à l’aide de lignes, d’hameçons et de filets (dont on a retrouvé des poids et des flotteurs), fournit encore une part appréciable de la nourriture. On cultive les mêmes espèces qu’auparavant, divers fruits mais aussi le coton. La variété des motifs trouvés sur les «textiles» entrelacés comme sur les calebasses gravées révèle l’existence d’un art déjà très élaboré; certains de ces motifs présentent d’ailleurs une surprenante ressemblance avec ceux qui ornent, à 1 000 kilomètres de là, les poteries de Valdivia (Équateur) où l’art de la céramique est apparu quelque cinq cents ans plus tôt. À Huaca Prieta , la poterie est encore absente, mais il n’est pas impossible d’imaginer que des contacts entre les deux régions aient permis aux idées et aux motifs décoratifs de circuler.

Les sites contemporains de Huaca Prieta (occupés entre 4500 et 4000/3500 B. P.) sont nombreux; du nord au sud, Las Aldas , Culebras , Aspero , Río Seco , Chuquitanta , Asia en sont les exemples les plus connus. Chacun d’eux présente des caractéristiques spécifiques mais tous ont en commun de comporter d’importants ensembles architecturaux «publics» – des grands monticules artificiels couronnés d’édifices, dominant les secteurs d’habitations qui les entourent – qui reflètent à l’évidence une différenciation sociale de plus en plus accentuée. Sur la côte centrale du Pérou apparaît une disposition qui prévaudra par la suite: un ensemble de pyramides tronquées disposées en U, enserrant une vaste esplanade. Un peu plus tardif, le site de Chuquitanta (ou El Paraiso ), qui occupe près de 60 hectares et comporte treize ou quatorze monticules, constitue le plus grand complexe architectural précéramique connu. La fonction de tels ensembles reste conjecturale et la nature du pouvoir qui en dirigea la construction difficile à définir. On peut penser que, dans le cadre d’une organisation sociale déjà très évoluée, le pouvoir était détenu par une élite, guerrière ou théocratique, capable de mobiliser une importante main-d’œuvre et chargée de contrôler l’exploitation et la répartition des ressources, à une échelle déjà largement régionale. Partout la subsistance dépend à la fois de l’exploitation de l’océan et de la culture des plantes, dont l’inventaire s’est encore enrichi de la coca et de l’arachide (apportées des régions tropicales de l’Est); seul manque encore le maïs qui n’apparaît cultivé sur la côte du Pérou que vers 4000 B. P. (à Los Gavilanes ), dans un contexte toujours précéramique et plus tardivement que sur la côte sud de l’Équateur, où les occupants de Real Alto , qui connaissent déjà la poterie, le cultivent depuis au moins 4500 B. P.

Dans la cordillère des Andes, durant la même période, on constate une permanence plus longue d’un mode de vie non sédentaire, quoique désormais fondé sur l’agriculture et l’élevage: la mise en culture des terres d’altitude moyenne – les plus favorables – combinée à l’élevage intensif des lamas et des alpacas sur les hauts plateaux conduisent à la pratique d’un nomadisme saisonnier qui exclut toute installation entièrement permanente, bien que la chasse et la collecte soient progressivement abandonnées. Parmi les espèces cultivées, la pomme de terre, la quinoa et le maïs sont les plus importantes. Les plus anciennes structures architecturales à usage apparemment cérémonial ont été découvertes dans les Andes nord du Pérou, où Kotosh, Shillacoto, Huaricoto, La Galgada en sont les exemples les mieux connus. Moins imposants que les ensembles côtiers, ceux des hautes terres sont en général constitués de plusieurs petits édifices monocellulaires et indépendants, parfois reconstruits les uns au-dessus des autres comme à Kotosh où le «temple des Mains croisées» (phase précéramique «Mito» – environ 4500 à 4000 B. P.) fut ensuite remblayé puis recouvert par le «temple des Niches» plus tardif et qui correspond à l’apparition de la céramique (vers 3900 B. P.).

Aires satellites et aires marginales

À l’écart de l’extraordinaire essor culturel que connaissent le littoral et les secteurs d’altitude moyenne des Andes centrales, les Andes septentrionales (Colombie et Équateur) et méridionales (Chili et Nord-Ouest argentin), ainsi que de nombreuses régions au Pérou même ne sont pas affectées par les processus de «néolithisation» et une économie de chasse-collecte continue d’y prévaloir. Les panoplies d’outillage n’accusent que des variations mineures par rapport aux époques antérieures, et les mêmes refuges naturels continuent d’être occupés. Cependant, l’intensité des occupations diminue à partir de 7000/6000 B. P., sans doute en raison d’une sécheresse grandissante, conséquence du réchauffement de l’«optimum climatique». À l’inverse, les installations se multiplient sur le littoral pacifique désertique, ainsi dans le nord du Chili où de grands amas coquilliers témoignent des occupations prolongées mais non sédentaires de pêcheurs-chasseurs-collecteurs (Quiani, Punta Pichalo, Chinchorro ).

À l’est des Andes et notamment au Brésil (sauf en Amazonie, sur laquelle les données font encore défaut) s’observe également, dans le Nordeste et sur les plateaux du Centre, une moindre densité des occupations en grotte ou abri. À l’inverse, les installations de plein air se multiplient dans le sud du pays: les groupes de Tradition Umbú , à l’outillage lithique très fin, qui occupent les savanes ouvertes (station de Dalpiaz ) vivent de la chasse, de la collecte des mollusques et des végétaux comestibles, laissant les terrasses boisées le long des fleuves aux pêcheurs-collecteurs de la Tradition Humaita (campements de Porto Gômes et Alfredo Wagner ), à l’outillage plus fruste que l’on retrouve jusqu’en Uruguay et dans le nord de l’Argentine (complexe Altoparanaense ). Quant aux pratiques horticoles, elles n’apparaissent dans le Brésil central que vers 2500/2000 B. P.

Le long du littoral atlantique, d’innombrables amas coquilliers, édifiés pour la plupart entre 6000 et 4000 B. P., attestent un mode de vie fondé sur la pêche et la collecte des mollusques. Au Venezuela, plusieurs «complexes» ont été définis dans ces concheros : Guayana, Ño Carlos et El Heneal (5500/5000 B. P.); «série Manicuaroïde» avec Cubagua et Manicuare (4000/3500 B. P.); Punta Gorda enfin, dont l’occupation se prolonge jusqu’aux premiers siècles de notre ère. Tous ont livré un outillage lithique fruste de galets aménagés et de gros éclats, complété d’instruments d’os et de coquille. Aucun d’eux ne contenaient de restes de plantes cultivées.

Sur la côte du Brésil, les sambaquis sont plus nombreux et beaucoup plus grands; certains mesurent plus de 20 mètres de hauteur, et leur longueur peut atteindre 300 mètres (sambaqui do Guaraguaçu ). Édifiés pour la plupart entre 5000 et 3000 B. P. (Forte Marechal Luz : 4300 B. P.; Conquista : 4000 B. P.; Macedo : 3700 B. P.), ils sont surtout concentrés dans les anses, au voisinage de la mangrove riche en faune. Au milieu des coquilles ont été mis au jour des fonds d’habitations, des foyers, des concentrations de sépultures parfois accompagnées de belles sculptures animalières en pierre, les «zoolithes». Tous contiennent aussi des outils d’os, de coquille et de pierre taillée (broyeurs, gros grattoirs et quelques rares pointes de jet) ou polie (haches). La céramique n’y apparaît que très tardivement, vers le début de notre ère ou plus tard.

Dans l’extrême sud enfin, tandis que les pampas de Patagonie sont toujours le domaine des chasseurs de guanacos – mode de vie qui perdurera jusqu’à l’époque historique des tribus Tehuelches –, les bordures magellaniques occidentale et orientale sont, à partir de 6000 B. P., occupées de manière intense par des pêcheurs-collecteurs de mollusques et chasseurs de mammifères marins qui édifient, comme le long de l’Atlantique, d’innombrables amas coquilliers appelés ici conchales et dont Englefield, Punta Santa Ana et Bahia Buena , au Chili, Túnel et Lancha Packewaia , en Argentine, sont les mieux connus. Aucune de ces régions australes ne sera touchée par la néolithisation, et la plupart de ces populations n’abandonneront ce mode de vie qu’après l’arrivée des Européens, qui signifiera leur disparition rapide. Les derniers chasseurs de guanacos de Patagonie et de Terre de Feu seront exterminés au XIXe siècle par les colons venus y introduire l’élevage extensif des moutons.

C’est donc dans ce contexte bigarré, où se côtoient sociétés d’agriculteurs sédentaires et hiérarchisés et petits groupes prédateurs semi-nomades, et où la poterie présente en un point n’apparaîtra que mille ou deux mille ans plus tard en d’autres points, que se produisent durant le IIe millénaire avant notre ère la maturation puis l’éclosion des hautes cultures. On met généralement l’accent sur les régions centre-andines, qui ont connu le développement le plus brillant et le plus rapide. Mais il serait également passionnant d’étudier de plus près les contacts et les influences, de distinguer migration et diffusion, invention et emprunt, d’évaluer enfin l’impact de techniques venues d’ailleurs sur des groupes restés plus primitifs. L’Amérique du Sud offre encore à ces voies de recherche peu explorées un territoire presque vierge.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем написать курсовую

Regardez d'autres dictionnaires:

  • AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE (archéologie et art) - L’Amérique moyenne précéramique — DES ORIGINES AUX PREMIERS VILLAGES L’Amérique moyenne ne figure sur aucune carte géographique. En 1943, elle a fait l’objet, sous le nom de Mesoamerica , d’une proposition de définition de la part de l’ethno historien Paul Kirchhoff, proposition… …   Encyclopédie Universelle

  • Art Des Andes Centrales — Arts précolombiens Par zone géographique Art des Andes centrales Art de l Équateur Par civilisation Art aztèque Art inca Art maya Art olmèque Art toltèque Art zapotèque …   Wikipédia en Français

  • Art andin — Art des Andes centrales Arts précolombiens Par zone géographique Art des Andes centrales Art de l Équateur Par civilisation Art aztèque Art inca Art maya Art olmèque Art toltèque Art zapotèque …   Wikipédia en Français

  • Art des andes centrales — Arts précolombiens Par zone géographique Art des Andes centrales Art de l Équateur Par civilisation Art aztèque Art inca Art maya Art olmèque Art toltèque Art zapotèque …   Wikipédia en Français

  • Art des Andes centrales — L art des Andes centrales est la production artistique qui a lieu au Pérou et en Bolivie avant l arrivée des européens. Sommaire 1 Chronologie 2 Conditions géographiques et climatiques 3 La Néolithisation : période précéramique …   Wikipédia en Français

  • Musée Larco — Museo Larco Informations géographiques Pays   …   Wikipédia en Français

  • Museo Arqueologico Rafael Larco Herrera — Musée Larco Museo Larco Le musée Larco est l’un des principaux musées de Lima. Fondé par l arquéologue péruvien Rafael Larco Hoyle, il présente de nombreuses pièces d’art précolombien. Principalement connu pour sa collection mochica, sa… …   Wikipédia en Français

  • Museo Arqueológico Rafael Larco Herrera — Musée Larco Museo Larco Le musée Larco est l’un des principaux musées de Lima. Fondé par l arquéologue péruvien Rafael Larco Hoyle, il présente de nombreuses pièces d’art précolombien. Principalement connu pour sa collection mochica, sa… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”